LE HÉROS DU JOUR SUR LE TOUR DE FRANCE. Le Lot-et-Garonnais avait déjà gagné une étape à Gap en 2006. Hier, les proches de Pierrick Fédrigo ont vibré

Papa, je veux le bouquet !

Sur le podium à Tarbes, Pierrick Fédrigo brandit le bouquet que lui a réclamé sa fille Léonie. (photo pascal pavani)
Sur le podium à Tarbes, Pierrick Fédrigo brandit le bouquet que lui a réclamé sa fille Léonie. (photo pascal pavani)
 

Ils ont été comblés. Hier, sur l'étape du Tour, ils étaient une centaine du club des supporteurs de Pierrick Fédrigo à avoir fait le déplacement. Un bus, plus sept ou huit camping-cars. « Avec le bus, c'était difficile d'aller dans les cols. Alors on s'est tous installés à Agos-Vidalos, un petit village entre Argelès et Lourdes, à 5 kilomètres de Lourdes et à 30 de l'arrivée. »

Michel, le père de Pierrick, en était. Il raconte comment tout le monde s'est entassé dans les camping-cars équipés de téléviseurs. C'est donc à la télé qu'ils ont appris l'échappée. « Et évidemment, quand ils sont arrivés à notre hauteur, on est tous sortis pour le voir passer. » Mais ça, ce fut l'affaire d'une minute ! Tout le monde est revenu se coller à la télé et a croisé les doigts jusqu'à la victoire finale de Pierrick et l'explosion de joie de ses admirateurs. Michel Fédrigo, hier soir, était un homme « très heureux et très fier ».

« Un pressentiment »

L'un d'entre eux, en revanche, n'a pas pu y être : Jean-Claude Fédrigo, le cousin tout aussi inconditionnel qui préside le club des supporteurs. Il était retenu à Hautesvignes pour un banquet familial (on fêtait les 50 ans de sa belle-soeur). « J'ai amené une télé portative. J'avais un pressentiment. » Et voilà comment, à Hautesvignes aussi, on a suivi l'exploit. Un banquet de famille, c'est souvent bruyant... « Figurez-vous qu'à certains moments de l'échappée, on entendait les mouches voler. »

« T'inquiète pas, maman »

C'est chez elle, à Saint-Barthélemy-d'Agenais, que Marie Fédrigo, l'épouse du vainqueur, a suivi à la télé cette étape échevelée Saint-Gaudens-Tarbes. Un suspense de 160 kilomètres. Interminable.

Et c'est d'une petite voix douce qu'elle répond au téléphone : « Oui, ici, c'est Marie... »

« Avec ma fille Léonie, qui a 4 ans, j'ai tout regardé, du début jusqu'à la ligne d'arrivée. Je peux vous dire que je suis passée par tous les stades de l'émotion. D'abord, quand l'échappée a démarré - c'était il me semble 20 kilomètres après le départ -, j'y ai cru très fort.

« Et puis, derrière, les sprinteurs colombiens se sont mis à rouler très vite à la poursuite, réduisant peu à peu l'écart avec Pierrick et les trois autres coureurs. Pendant ce temps-là, Antoine, notre petit dernier qui est âgé de 2 ans, faisait la sieste.

« Cela a été très dur au passage du Tourmalet. Là, pour le coup, j'étais stressée. Léonie ne cessait de me dire : "T'inquiète pas, maman, ça va le faire." À la fin, quand l'Italien a doublé Pierrick, j'ai hurlé : "Dépêche, Loulou !" »

Tous à Limoges

La veille de l'étape, samedi, Pierrick Fédrigo avait appelé sa femme : « Viens me rejoindre ce soir à Toulouse avec les enfants. » Ce que Marie a fait.

Au cours du dîner, la petite Léonie a simplement dit : « Demain, papa, je veux le bouquet. » Se souvenait-elle de cette première étape du Tour gagnée par son champion de père en 2006 à Gap ?

« Pierrick a bien compris le message. À Limoges, où toute la famille va rejoindre mon mari, Léonie les aura, les fleurs de la victoire. »

(Lire également en pages 31, 32 et 33)

Auteur : pascal heng et christine caubet-boullière

 

CYCLISME TOUR DE FRANCE, NEUVIÈME ÉTAPE. Le Marmandais Pierrick Fédrigo a maté l'Aspin, le Tourmalet et Franco Pellizotti pour signer sa deuxième victoire dans le Tour, hier à Tarbes. La troisième d'un Français en une semaine

Fédrigo ne perd jamais

 
Pierrick Fédrigo n'a fait qu'une bouchée de Pellizotti dans le sprint final. (photo afp)

 

Un hurlement de joie ? Non, un cri de peur. On a frôlé l'accident, hier, sur la ligne d'arrivée à Tarbes. Jean-René Bernaudeau était heureux comme un gosse. Le manager de Bouygues Telecom a traversé la route pour serrer Pierrick Fédrigo dans ses bras sans attendre. Oubliant simplement que son coureur arrivait lancé. Fédrigo en fut quitte pour une grosse tape sur le casque et une énorme frayeur.

Deux cents mètres plus loin, tout était oublié. Les larmes du manager, le sourire posé de son champion, la saveur d'un succès sur le Tour est incomparable. Cinq jours après Thomas Voeckler à Perpignan, l'autre crack de B-Box Bouygues Telecom est donc entré en scène hier dans les Pyrénées et ça a fait mouche. Fédrigo vainqueur à Tarbes, après avoir franchi les cols d'Aspin et du Tourmalet en tête ? Ce n'était pas si fou, après tout. À 30 ans, le Marmandais progresse encore. Chaque année d'un cran, en force comme en ruse. Le championnat de France en 2005 à Boulogne, l'étape de Gap sur le Tour 2006 avaient déjà consacré son talent de « coursier ».

Sa deuxième place à la Toussuire dans le Dauphiné 2008 avait encore consolidé sa réputation de gros client. La plupart des observateurs, des coureurs et des directeurs sportifs le considèrent d'ailleurs comme l'un des plus redoutables baroudeurs du monde, qui totalise 18 succès pros depuis hier.

Le haut du panier

En juin dernier, il s'était ainsi offert l'étape reine du Dauphiné Libéré. Avec la manière, déjà. Une échappée en montagne et une victoire facile au sommet de la Gargouille, à Briançon. « Quand il marche, Pierrick peut faire des trucs incroyables. Il n'y a pas besoin de beaucoup lui parler. Il a la gagne en lui. Et quand il le décide, sans trop prévenir, il peut se lancer dans des numéros de folie. Parce que là, excusez-moi, mais c'est un très grand numéro. »

Il n'a pas tort, le directeur sportif de Bouygues, arrosé d'eau dans la zone protocolaire par son coureur, hilare. La veille déjà, dans le Port d'Envalira, Fédrigo avait montré le bout du nez. Juste pour voir. Il avait vu et avait compris que les jambes était prêtes pour le grand jour. Alors hier matin, dès les premières annonces de radio tour, son nom a été cité. C'était le jour de Fédrigo, ça se sentait. En deux tentatives, il s'est donc glissé dans le bon coup. Accompagné de Voigt, Pellizotti et Duque (qui allait rapidement céder dans l'Aspin), il n'avait pas choisi des « manches » pour se faire la belle. Derrière, les grimpeurs d'Euskaltel, flanqués de David Moncoutié, ont bien tenté de revenir. Mais si Voigt a coincé dans le Tourmalet, Fédrigo et Pellizotti n'ont pas faibli sur les rampes du géant des Pyrénées.

Pour rappel, Franco Pellizotti vient tout simplement de terminer troisième du Tour d'Italie. Le haut du panier en somme. Au sommet du Tourmalet, la journée avait déjà été belle. Elle pouvait l'être plus encore à condition de tenir sur les 70 bornes qu'il restait à parcourir jusqu'à Tarbes avec seulement 4 minutes d'avance sur un peloton encore fourni.

Pas d'entourloupe

Et lorsqu'à 45 km de l'arrivée, l'équipe Caisse d'Epargne a mis la poursuite en route pour favoriser un sprint de Joaquin Rojas, la côte des deux fuyards a soudainement baissé. En seulement 15 km, Fédrigo et Pellizotti avaient perdu plus d'un quart de leur matelas. « Mais moi, j'étais sûr qu'ils iraient au bout, sourit Thomas Voeckler. Dans le peloton, on voyait bien que ça ne roulait pas si fort que ça. Les gars avaient les deux cols dans les pattes et ils plafonnaient. » L'équipier de Fédrigo était donc optimiste, voire certain du coup. « Je me doutais que Pierrick allait arranger l'Italien. Dans un sprint, sur du plat, il est très puissant. » Pellizotti aussi s'en doutait. « Avec Fédrigo, on ne s'était pas beaucoup parlé dans l'échappée. On savait qu'il ne fallait pas se faire d'entourloupe. Dans le final, je n'ai pas eu le choix. J'ai dû prendre quelques risques, car je savais qu'il était plus fort que moi. »

Bel hommage d'un coureur transalpin, une fois de plus. Car l'air de rien, le Lot-et-Garonnais s'est fait une petite spécialité des victoires France-Italie, tout en malice. Hier, Pellizotti a mordu la poussière. En 2006, à Gap, le rusé Commesso avait aussi perdu dans un final où le sang-froid du Français avait époustouflé alors que le peloton fondait sur eux. En août 2008, il s'était également offert le scalp d'Allessandro Ballan (sacré champion du monde trois semaines plus tard) au Grand Prix de Plouay. En fait, avec Fédrigo, les choses sont limpides : s'il est dans une échappée victorieuse, il ne se fait jamais battre.

« C'était mon jour »

 
« Les victoires sur le Tour de France sont toujours les plus belles ». (photo afp)
 

« Sud Ouest ». Trois ans après votre première victoire à Gap, vous gagnez l'étape du Tourmalet. L'émotion est-elle différente ?

Pierrick Fédrigo. Les victoires sur le Tour de France sont toujours les plus belles. Celle de Briançon, le mois dernier au Dauphiné, était déjà bien. Mais là, c'est incomparable. L'Aspin, le Tourmalet, des cols que je connais bien, pas si loin de la maison. Ma famille était dans les parages, mon club de supporters était sur le bord de la route. J'ai été encouragé toute la journée. C'était vraiment génial. En revanche, en terme de course en elle-même, celle de Gap était quasiment la même qu'aujourd'hui. Toute la journée, j'ai ressenti les mêmes sensations. En fait, c'était mon jour !

À 45 kilomètres de l'arrivée, le peloton s'est mis à rouler fort derrière vous.Avez vous craint d'être repris ?

En fait, avec Pelizotti, on ne s'est pas vraiment posé de questions. On n'avait plus le choix, il fallait continuer à y croire et à tout donner. De toute façon, que risquait-on ? De se faire reprendre à 10 bornes de la ligne ? Après tout ce qu'on avait réalisé jusque-là, on n'allait tout de même pas se relever ! Mais bon, quand l'écart est tombé à 1'25'' à 10 km de la ligne, je n'étais plus tout à fait sûr.

Justement, votre entente a semblé parfaite avec Pelizotti. Vous êtes vous parlés ?

Très peu. On savait exactement ce qu'on avait à faire. On s'est juste un peu encouragé dans les derniers kilomètres quand il fallait batailler. On est resté calmes. Il y croyait, moi aussi, alors...

Le sprint final s'est-il déroulé comme vous le souhaitiez ?

Pas vraiment. Il y avait un virage à 200 mètres de la ligne. Je savais qu'il fallait virer en tête. Mais Pelizzoti m'a grillé la politesse. D'ailleurs, je ne savais pas trop comment le manoeuvrer, car je ne le connaissais pas très bien, je me doutais juste qu'il allait vite. Heureusement pour moi, il a mis un trop gros braquet et s'est heurté au vent de face. On s'est un peu touchés et j'ai pu le remonter.

Ces deux derniers jours, vous avez fini loin des meilleurs. Était-ce avec une arrière-pensée ?

Je ne calcule pas à ce point. Mais bon, ça ne sert pas à grand-chose de s'épuiser dans certaines étapes pour finir 25e à 7 ou 8 minutes. Il vaut mieux finir dans le grupetto à 25 minutes et économiser quelques forces. Aujourd'hui, elles m'ont peut-être servi.

Après Salvatore Commesso à Gap et Alessandro Ballan au Grand Prix de Plouay la saison dernière, vous battez encore un Italien. Quelle est la recette pour être plus malin qu'eux ?

(rire). C'est vrai que ça commence à en faire quelques-unes ! Mais je ne sais pas l'expliquer. Peut-être qu'il faut avoir un peu de sang italien. Moi, j'en ai du côté de mes grand-parents.

L'équipe Bouygues signe sa deuxième victoire sur ce Tour. Comment l'expliquez-vous ?

On a besoin de victoires pour avancer. Celle de Thomas à Perpignan ne nous a pas rassasiés. On en veut encore et on se rattrape de notre Tour de la saison dernière où la réussite n'avait pas été de notre côté. Ce succès me rend heureux pour l'équipe qui a besoin de briller pour trouver un sponsor pour la saison prochaine. Mais attention, c'est aussi un plaisir personnel.

Vous en êtes désormais à 18 victoires chez les pros, dont quelques-unes de prestige. Quelle est l'étape suivante ?

Ce sera peut-être les championnats du monde, à Mendrisio. J'en ai parlé avec Laurent Jalabert (NDLR : le nouveau sélectionneur de l'équipe de France). Je vais me les mettre en tête. Jusque-là, je n'avais jamais vraiment fait l'effort de rester compétitif aussi loin dans la saison. Je lâchais un peu dans la tête. Mais ça vaut peut-être la peine d'essayer.

Comment allez vous fêter cette victoire ?

Elle ne peut pas mieux tomber car ma femme et mes enfants doivent me rejoindre dès ce soir (hier) à l'hôtel à Limoges. Non seulement je vais pouvoir boire une coupe avec mes coéquipiers, mais également avec ma famille, c'est vraiment l'idéal.

Auteur : Julien Duby
envoyé spécial
j.duby@sudouest.com